Le chemsex, terme inventé par David Stuart, thérapeute et spécialiste de la question en Angleterre, désigne la prise de drogues psychostimulantes en contextes sexuels — principalement le GHB, la kétamine, la méphédrone et le crystal meth — et a comme motivations la recherche du plaisir, la connexion intense à l’autre, le sentiment d’appartenance et la désinhibition.
Ce phénomène, d’abord marginal, a lentement mais sûrement gagné en popularité chez la communauté gaie et en particulier l’utilisation du crystal meth, qui a doublé ces dernières années selon l’étude Engage. Cette substance de plus en plus consommée serait l’ennemi numéro 1 dans la liste des drogues récréatives, par son puissant pouvoir d’addiction et la détresse rapide dans laquelle elle plongerait ses utilisateurs. Certains parlent même d’une épidémie silencieuse et la comparent aux ravages du Sida dans les années 90. La COVID-19 des dernières années a encore plus isolé les gens et pesé sur leur santé mentale, ce qui aurait exacerbé le problème chez une population déjà fragilisée par la stigmatisation et le sentiment de solitude qui peut en découler. De plus, le manque d’accès à certaines drogues de choix comme la cocaïne pendant le confinement a fait en sorte que plusieurs se sont rabattus sur les drogues disponibles, dont celle-ci.
Si la pratique du chemsex n’est pas nouvelle, certains enjeux sont de plus en plus préoccupants, entre autres les risques de contraction d’une ITSS dans ces contextes de sexualité plus extrêmes, la pratique plus répandue de l’injection (communément appelée slam) chez des gens peu familiers avec celle-ci donc moins outillés pour une utilisation sécuritaire, le nombre grandissant de surdoses accidentelles parfois mortelles et l’augmentation des usagers du crystal meth, la plus puissante des drogues et celle qui a le plus d’impacts négatifs sur la plupart des aspects de la vie.
Si certaines personnes ont volontairement essayé les drogues associées au chemsex, plusieurs usagers racontent être entrés en contact avec ces substances par accident, sans le demander, par exemple en croyant qu’un joint contenait du cannabis ou une ligne était composée de cocaïne alors qu’il s’agissait de crystal meth.
Le film « Chemsex », sorti en 2015, a montré pour une des premières fois au grand public le phénomène, sous la caméra indiscrète et crue de William Fairman. On y voit entre autres un hôte organiser une orgie où rien ne semble laissé au hasard : couleur de l’éclairage, musique rythmée, jusqu’au calendrier avec les noms de chaque participant pour assurer un suivi des substances consommées. On assiste presque à une communion sacrale avec le prêtre et ses ouailles quand le temps est venu et que l’hôte sert un petit verre contenant sans doute du GHB à tous ses invités qui repartent de plus belle, requinqués.
Sur les applications de rencontre, les utilisateurs, pour se reconnaître entre eux, utilisent souvent les termes « chill », « long session », P.N.P pour Party N’Play, H&H pour High&Horny, de même que l’émoticon pig (cochon). Aussi, la couleur rouge est souvent aperçue dans certaines photos de profil, certaines soirées se déroulant sous l’éclairage d’ampoules colorées.
Lors des soirées chemsex typiques, qui ont généralement lieu dans les maisons privées lors de sex parties ou parfois dans les saunas, les participants mélangent les substances et peuvent cumulent plusieurs partenaires, souvent sans protection, sinon la PreP qui cible uniquement le VIH. Les effets des drogues sont si puissants que les activités peuvent durer plusieurs heures voir plusieurs jours, sans que l’usager ne sente le besoin de dormir ou de manger ; ces derniers augmentent aussi les sensations corporelles et favorisent, par la désinhibition et la désensibilisation à la douleur, l’exploration de nouvelles pratiques sexuelles telles que le sexe en groupe et le fisting, qui consiste en l’introduction du poing dans le rectum.
Les comportements sexuels associés au chemsex peuvent engendrer des répercussions financières et relationnelles en plus des risques associés à la santé physique (pensons à la malnutrition et au manque de sommeil, en plus des effets directs de ces substances chimiques hautement impures sur le corps), de même qu’à la santé mentale, puisque les high sont aussi accompagnés par des états dépressifs intenses, qui incitent souvent les gens à consommer de nouveau pour en sortir.
Regardons ces bénéfices et ces inconvénients plus en détails, pour mieux les comprendre.
LES BÉNÉFICES
Le chemsex présente certains avantages dans la vie des utilisateurs, qui vont faire en sorte qu’ils demeurent dans cette pratique malgré les côtés plus négatifs que nous verrons plus loin.
Sentiment de connexion et d’intimité : Plusieurs études montrent que la pratique du chemsex facilite les rencontres entre les partenaires et rend plus intenses les relations, en plus de faire tomber certaines barrières (âge, image corporelle, niveau socio-économique, statut sérologique, etc), ce qui a pour effet d’augmenter le sentiment de connexion et d’intimité avec les autres. On verra par contre certains auteurs parler d’une intimité bien artificielle et éphémère, qui sera malheureusement renouvelée seulement en contexte de prise de drogues par la suite.
Sentiment d’appartenance : Beaucoup de personnes de la communauté expriment un sentiment de solitude et d’isolement, ce qui est souvent leur première motivation pour commencer le chemsex, la connexion avec les autres étant facilitée par le contexte de promiscuité et l’effet des drogues. Une fois embarqués dans ce mode de vie, ils se sentent partie prenante d’une nouvelle communauté dont ils ne voient souvent que les bons côtés au début et ce sentiment d’appartenance diminue leurs émotions négatives par rapport à l’isolement, tout en encourageant la consommation.
Plaisir et performances physiques : Les drogues vont augmenter de beaucoup l’intensité du plaisir sexuel, que ce soit pour l’excitation, les sensations physiques ou l’orgasme. L’utilisateur va vivre toutes sortes de sensations qu’il n’a jamais vécues avant et qu’il revivra difficilement sans substances, ce qui l’amène à rechercher ces sensations par la suite et à trouver la sexualité sobre assez ennuyante, puisque moins stimulante. De plus, la fatigue disparaît et le corps ressent moins la douleur, ce qui permet de pratiquer des activités sexuelles plus extrêmes comme les gangbang ou le fistfucking, parfois pendant plusieurs heures.
Désinhibition : La communauté gaie, entre autres, porte un culte important depuis plusieurs années au corps masculin sans gras et musclé, ce qui amène une partie de la population qui ne correspond pas à ces standards à se sentir non désirable. Or, certaines drogues sont décrites comme ayant un effet positif et intense sur l’estime de soi, quelques utilisateurs parlant même de se sentir comme Superman. Elles vont de fait diminuer ce sentiment négatif et faciliter la relation avec les autres hommes. Certains utilisateurs disent perdre les peurs qui les habitent normalement, ce qui leur permet d’approcher des partenaires qu’ils n’oseraient pas approcher habituellement.
Nous avons vu les bénéfices du chemsex, mais cette pratique présente divers côtés négatifs qui peuvent avoir une grande incidence sur la vie des usagers.
Amis : Les utilisateurs peuvent en venir à restreindre leurs activités à la seule consommation de drogues en contexte sexuel, parce qu’ils perdent intérêt pour les autres activités, beaucoup moins intenses. Naturellement, les amis seront tranquillement remplacés par ceux reliés à la consommation, ce qui sera d’ailleurs un des facteurs négatifs si la personne souhaite arrêter ou diminuer, ses seuls contacts restant ceux reliés à leur sexualité.
Famille : L’isolement amène souvent aussi les consommateurs à voir de moins en moins les membres de leur famille, puisqu’ils vivent la honte et parfois des changements physiques que ceux-ci ne manqueront pas de remarquer (maigreur, nervosité, cernes, pertes de dents) en plus de ne pas supporter le sevrage nécessaire à ce genre de rencontres si par exemple la personne utilise le crystal meth, qui est très envahissant.
Finances : en plus de coûter relativement cher, cette pratique peut amener la personne à négliger certains aspects importants de sa vie, dont son travail. La réduction des performances générales au bureau et l’absentéisme croissant peuvent aller jusqu’à causer un licenciement, de mauvaises références professionnelles, une dégradation globale du niveau socio-économique, la perte d’une année de salaire, la perte d’une maison, etc.
Santé physique et mentale : La pratique du chemsex peut être très dur sur le corps par les longues sessions sexuelles sans sommeil, en plus de l’accumulation des drogues et leurs mélanges. Les substances psychoactives induisent de surcroît un état dépressif une fois leurs effets dissipés, décrit comme un « down » pouvant être très intense et encourageant la reprise de substances pour sortir de cet état difficile à vivre. De plus, le risque de contracter des ITSS est de beaucoup augmenté, de par le nombre de partenaires et la prise de risque accrue induite par les drogues, mais aussi parce que le consommateur voit davantage les bienfaits immédiats que les effets négatifs à long terme, souvent par un mécanisme de déni.
TRAJECTOIR CLASSIQUE
Nous venons de voir les bénéfices et les inconvénients pour les usagers. Certaines recherches récentes les mettent en relation et définissent ce qu’on appelle la trajectoire classique des utilisateurs du chemsex, dont voici les six étapes.
Elle débute par un sentiment de solitude et de vide (étape 1), sentiment qui peut être induit par plusieurs facteurs : événements négatifs du passés, mauvaises réactions au dévoilement de l’orientation sexuelle, liens familiaux affaiblis, faible estime de soi, mauvaise image corporelle, problèmes inhérents de santé mentale, conséquences de l’importance des technologies dans nos vies au dépend des contacts physiques réels, entre autres facteurs.
Lorsque les gens vivent la solitude et l’isolement, ils vont expérimenter une recherche de connexions (étape 2), que ce soit leurs amis, leur famille, les membres de leur communauté, physiquement ou virtuellement, par exemple via les réseaux sociaux. Certains vont satisfaire ces besoins de connexions en multipliant les partenaires sexuels, particulièrement dans la population des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH).
L’apparition des multiples sites de rencontre et applications de suivi GPS comme Grindr, Scruff et Hornet, entre autres, rend les rencontres sexuelles de plus en plus accessibles et normalisées ; de fait, il n’est pas rare de voir certains utilisateurs avoir plusieurs partenaires dans la même journée. Par contre, ces liens sexuels (étape 3) ne suffisent souvent pas à combler le sentiment de vide que plusieurs décrivent, induit par la solitude. La prise de drogues lors de ces activités va venir répondre à ce besoin.
La pratique de plus en plus courante et normalisée dans la communauté gaie, entre autres facteurs, intensifie ce lien entre le sexe et la drogue, cette connexion grâce au chemsex (étape 4). Ses utilisateurs peuvent être amenés à adhérer à ce mode de vie pour améliorer le plaisir sexuel et les performances, de même que la connexion émotionnelle et sexuelle plus rapide et facile, ce qui est vu de manière très positive quand on vit de l’isolement. Les drogues peuvent également éliminer les inhibitions quant à l’image corporelle, l’âge, le niveau socio-économique. Cette désinhibition va aussi amener ses utilisateurs à expérimenter des types de relations sexuelles qui les sortent de leur sexualité ordinaire et favorisera en même temps un grand sentiment d’appartenance à la communauté.
Parce qu’elles créent un « high » intense et amènent l’utilisateur dans des sphères de plaisir difficilement atteignables autrement, les substances peuvent devenir hautement addictives. Ce processus fera en sorte que la consommation s’intensifiera en quantité mais aussi en fréquence (par exemple d’une fois par mois à une fois par semaine), pouvant aller jusqu’à une perte totale de contrôle, comme on le voit surtout avec le crystal meth. Les conséquences du chemsex problématique (étape 5) sont nombreuses, autant au niveau de la santé physique et mentale que sur les autres aspects de la vie comme le travail, les amitiés, la famille, etc. Pour l’utilisateur qui vit de plus en plus d’expériences négatives, les seules expériences positives restantes sont bientôt rattachées au chemsex, ce qui ne l’aide pas à diminuer ou cesser sa consommation. Ce sentiment de perte de contrôle peut même induire chez la personne un grand sentiment d’impuissance, allant jusqu’à un désintérêt total pour les conséquences négatives de sa consommation sur sa vie.
Le chemsex problématique peut avoir de graves impacts sur la santé d’une personne (étape 6). Le mode de vie peut être très dur sur le corps par les longues sessions sexuelles sans sommeil, en plus de l’accumulation des drogues et leur mélange. Les substances psychoactives induisent de surcroît un état dépressif une fois leurs effets dissipés, décrit comme un « down » pouvant être aussi intense que le « high » qui l’a précédé et encourageant la reprise de substances pour sortir de ces moments souffrants difficiles à vivre. De plus, le risque de contracter des ITSS est de beaucoup augmenté, de par le nombre de partenaires et la prise de risque accrue induite par les drogues, mais aussi parce que le consommateur voit davantage les bienfaits immédiats que les effets négatifs à long terme, souvent par un mécanisme de déni. Finalement, le corps étant endolori, les limites physiques sont moins claires et on voit des accidents très graves survenir lors de pratiques plus extrêmes comme les très gros jouets et le fistfucking, ce qui nécessitera une prise en charge médicale.
CONCLUSION
Le présent dossier, sans glamouriser ni diaboliser la pratique du chemsex, en a montré les bénéfices et les inconvénients et a expliqué la trajectoire classique des utilisateurs, de même que les motivations à s’y adonner dans le but que les lecteurs, consommateurs ou non, puissent avoir un portrait plus global du phénomène et des impacts réels sur leurs vies afin de faire des choix plus éclairés.
Certaines habiletés, qui font partie des composantes de la santé sexuelle, sont à considérer : une bonne connaissance de ses limites et la capacité à les respecter, une diversité dans la vie sociale et les activités, des liens relationnels significatifs, une bonne estime de soi et la capacité à apprécier les moments de la vie sans substances sont du nombre des aptitudes qui participeront à réduire certains méfaits associés à une consommation problématique.
Pour celles qui ne pratiquent pas le chemsex, il serait bon, en regard de cet éclairage qui se veut objectif, de se demander si le jeu en vaut la chandelle et aussi de faire attention aux substances qui nous sont proposées afin d’éviter les mauvaises surprises.
Pour celles qui le pratiquent et ne désirent pas nécessairement cesser ou n’y arrivent pas, la réduction des méfaits est une approche profitable à tous les niveaux, en gardant à l’esprit les quantités à ne pas dépasser, les mélanges à éviter, les types de drogues à ne pas consommer, avec en tête le crystal meth qui ressort comme étant clairement la plus addictive de toutes et celle ayant les répercussions les plus sévères sur plusieurs dimensions de la vie.
Il est à souhaiter dans les prochaines années que le chemsex, sans être banalisée, devienne moins stigmatisant pour ses usagers, de sorte que les gens n’aient pas honte d’en parler ou de s’adresser aux ressources mises à leur disposition. Nous semblons sur la bonne voie, avec de plus en plus de visibilité dans les médias et des initiatives plus grand public comme Ça prend un village mise en place il y a deux ans, qui a servi à mettre des visages humains au phénomène et cela sans jugement. De plus, la recherche scientifique s’y intéresse de plus en plus, ce qui fait avancer les choses tant au niveau de la prévention, de la réduction des méfaits que du traitement.
RESSOURCES INTÉRESSANTES SUR LE SUJET
REZO : notre programme PNP-CHEMSEX chez REZO, orienté sur la réduction des méfaits afin que les utilisateurs fassent des choix éclairés.
MON BUZZ : pour faire un bilan sur les diverses consommations et les effets sur la sexualité. Possibilité de clavarder avec un intervenant et être orienté vers des ressources adéquates.
Ça prend un village : récits de québécois à visages découverts et sans jugement de parcours reliés au crystal meth, témoignages francs et touchants pour démonter les stéréotypes sur cette substance qui fait de plus en plus de ravages.
À voix haute : Isaac, son expérience du CHEMSEX : témoignage d’Isaac.
Le CHEMSEX en intervention : sept vidéos à l’usage des intervenants.
CHEMSEX : film de William Fairman sorti en 2015 et montrant la réalité d’utilisateurs anglais.
Balado Relation toxique, portrait d’une dépendance : récits multiple sur les dépendances, dont un sur la problématique du chemsex.
CHEMSEX : un deuxième Sida? : témoignages d’utilisateurs français